« Si Smiths est un joli nom de famille, alors James est le prénom idéal » écrivait Michka Assayas en novembre 1986 dans Libération. Il essayait sans doute d’expliquer par là que James représentait la deuxième génération mancunienne de pop mélancolique sur fond de guitares cristallines. Quatre ans plus tard, le quatuor a grandi et évolué. Tim Booth, chanteur et leader de James s’explique.
(Tim Booth) Cela fait six-sept ans que l’on existe sous le nom de James. On est basé à Manchester. On a sorti quelques disques sur Factory. On s’est fait bloquer par Sire, la compagnie de disques américaine pendant quelques temps. On est maintenant sur notre propre label. On est sept dans le groupe : un violoniste qui joue également de la batterie et de la guitare, un trompettiste multi-instrumentiste, un clavier, une guitare, une basse, une batterie.
On est un grand orchestre maintenant. 1989 aura été une année de grands changements pour nous. On est complètement différent.
Chaque fois que je vous vois en concert, vous êtes deux de plus dans le groupe.
Oui, on s’agrandit, on se multiplie. Ca tombe bien, avant on était un peu limité.
N’est-ce pas plutôt pour essayer de combler un vide quelque part ?
Non, dans le groupe, tous sont excellents musiciens. On a cherché pendant longtemps des gens qui avaient la bonne attitude musicale. On les a trouvé cette année, on ne pouvait pas les refuser.
Avec The Band Of Holy Joy, vous avez fait en octobre 89 un concert pour le CND (Campagne pour le Désarmement Nucléaire).
C’était juste un concert de soutien pour lancer une vidéo de groupes indépendants anglais. Tout l’argent va servir à financer un e campagne pour le CND. Il y a tout le temps des benefits dans ce pays. Les groupes y participent pour différentes causes et l’importance du groupe ne devrait pas jouer&ldots; même si le but est de gagner le plus d’argent possible.
Bradford a été sauvé de l’anonymat par une déclaration de Morrissey qui disait qu’il était le groupe le plus intéressant d’Angleterre. Ceci posé, peut-on dire que les Smiths vous ont « découverts »(James ayant fait la première partie de la tournée Meat Is Murder en 1985) ?
(Ton sec et télégraphique, histoire de faire bien comprendre que l’on pourrait parler d’autre chose) Non pas du tout ! Ils aimaient notre musique. Ils nous ont emmené en tournée avec eux. Ils reprenaient nos chansons sur scène. On s’entendait bien avec eux&ldots;J’ai aimé pas mal de trucs qu’ils ont fait. J’ai pas aimé d’autres trucs. Je suis pote avec Morrissey, je l’aime bien&ldots;Je n’ai jamais été fan des Smiths.
Toute la musique intéressante vient de Manchester en ce moment. Vrai ou faux ?
Vrai ou faux ? C’est un jeu ? Je gagne quelque chose si je réponds bien ? Non, tous les groupes auxquels tu penses jouent à Manchester depuis des années. Ils ne recevaient aucune attention de la part de la presse. Et puis, depuis un an, la presse et les médias se sont dits « eh, regarde ce qui se passe à Manchester ». Ils pensent donc que tous ces groupes sont nouveaux.
La presse musicale en Angleterre est-elle si importante ?
Je suis très cynique à propos de l’argent, des maisons de disques qui achètent les charts, du pouvoir de l’image sur les journalistes&ldots;Ils semblent être tous obsédés par l’imagerie, la mythologie rock’n’roll. Je trouve cela enfantin&ldots;Quand on a commencé avec James, on ne prenait pas les interviews au sérieux. On mettait des fringues ridicules pour les photos parce que l’on pensait que ça n’avait rien à voir avec la musique. On a refusé longtemps de donner des interviews ou alors, on racontait des conneries qui étaient prises au sérieux. Tout cela nous a valu une image très négative. Il nous a fallu beaucoup de temps pour redresser la barre. Maintenant, on sait que les choses sont importantes pour des gens, maos pas toujours pour nous. On joue plus le jeu qu’avant, c’est tout.
Avez-vous eu des choix difficiles à faire avec le groupe ?
Oui. Avec Sire, on a eu un combat. Un combat d’affaire. Ils voulaient qu’on devienne un grand groupe de rock alors que nous, on voulait juste continuer à faire notre musique. Ca a été un combat qu’on n’a pas gagné d’ailleurs vu qu’aucun disque n’est sorti pendant deux ans. Ca nous a tué créativement&ldots; On a perdu beaucoup à l’époque.
Votre album live s’intitule « One Man Clapping », est-ce une blague ?
Oui, c’est juste une blague. Dans tous les albums live, les groupes rock veulent toujours qu’on entende bien qu’il y a un public énorme. C’est une partie importante de leur disque. Dans notre live, le public applaudit d’un bout à l’autre et, à la fin du dernier titre, ça monte en intensité et il n’y a plus qu’un seul mec qui applaudit. C’est le sens de l’humour de James&ldots; ce n’est pas très drôle.
James, vous prenez au sérieux ?
Oui, nous prenons notre musique au sérieux mais nous ne nous prenons pas au sérieux . Tu sais, tu fais un concert et après, il y a des gens qui veulent t’embrasser et qui ne partiront pas avant de t’avoir embrassé. Il y a des gens qui font 300 kms pour nous voir, qui nous suivent dans toute l’Angleterre. Alors, tu ne peux pas prendre cela au sérieux ou alors tu devient maboul. Il y a des gens que je connais personnellement et qui sont devenus des mythes du fait de la presse musicale&ldots; je sais que c’est très dur à assumer. Au début, c’est drôle, on joue avec ça, je préfèrerais que les choses soient plus honnêtes , qu’il n’y ait pas de mensonges, qu’on ne doive pas être des personnages exotiques ou glamoureux pour vendre des disques&ldots; Je pense que nous faisons une musique formidable et que nous produisons sur scène l’un des bruits les plus excitants qui soit. Je voudrais que les gens viennent nous voir, s’amusent bien, passent du bon temps et que les rapports en restent là.
Mais je crois que je ne suis pas réaliste.
Richard Bellia (Ritual [belgian fanzine])